La pêche de l’anguille fait partie de ces pratiques à la frontière entre tradition et sensations brutes. Loin des sondeurs, des leurres dernier cri et des techniques spectaculaires, elle repose sur l’observation, la patience et la compréhension fine d’un poisson aussi discret que fascinant.
Poisson de l’ombre, nocturne par excellence, l’anguille impose son rythme et oblige le pêcheur à s’adapter à elle, et non l’inverse.
L’anguille européenne (Anguilla anguilla) est sans doute l’un des poissons les plus énigmatiques de nos eaux. Capable de parcourir des milliers de kilomètres pour se reproduire, elle passe la majeure partie de sa vie en eau douce, cachée le jour et active la nuit.
Durant la journée, elle se tient enfouie dans la vase, sous les racines ou à l’abri des pierres. À la tombée du jour, lorsque la lumière baisse et que la pression retombe, elle sort lentement de sa cache pour se nourrir.
Ce comportement très spécifique explique pourquoi la pêche de l’anguille est presque exclusivement nocturne. Elle ne tolère ni agitation, ni lumière excessive, ni présence humaine trop marquée.

Contrairement à d’autres espèces, l’anguille ne se déplace pas au hasard. Elle affectionne particulièrement les zones calmes, riches en matière organique, là où la nourriture est abondante. Les canaux, rivières lentes, fosses profondes et bordures vaseuses sont des secteurs clés.
Les cassures, arrivées d’eau, avals de barrages ou zones encombrées jouent un rôle essentiel : ce sont des points de passage naturels où l’anguille peut à la fois se nourrir et se réfugier rapidement en cas de danger.
Un bon poste à anguille est rarement spectaculaire, mais il est presque toujours discret.
La pêche de l’anguille commence réellement lorsque le jour décline. Les meilleures sessions ont souvent lieu par nuits chaudes, couvertes, parfois juste avant ou après une pluie.
Lorsque l’eau se teinte légèrement et que la pression atmosphérique chute, l’activité peut devenir intense.
Les touches ne sont jamais brutales. L’anguille aspire l’appât, le manipule longuement, puis s’éloigne lentement. C’est une pêche d’écoute, où chaque vibration transmise dans la canne a son importance.
Si la pêche de l’anguille ne nécessite pas de matériel sophistiqué, elle impose néanmoins des choix robustes. L’anguille est incroyablement puissante et cherche immédiatement à se réfugier dans les obstacles.
Une canne relativement longue (3.50m), au blank progressif, permet d’absorber les rushs sans casser (une canne à brochet au posé ou une canne à carpe peut faire l’affaire). Le nylon reste souvent privilégié pour sa souplesse et sa résistance à l’abrasion, notamment dans les zones encombrées.
Le montage, posé sur le fond, doit rester discret et efficace. Inutile de complexifier : l’anguille n’est pas méfiante visuellement, mais elle ressent la moindre tension anormale.
L’anguille se guide principalement à l’odorat. Les appâts naturels, riches en effluves, sont donc incontournables. Le ver de terre, présenté en bouquet, reste une valeur sûre.
Dans certaines conditions, des morceaux de poisson ou des appâts plus gras peuvent déclencher des touches supplémentaires, notamment sur les grosses femelles.
L’important est de laisser l’appât immobile, diffusant lentement son odeur dans l’eau.
L’une des erreurs les plus fréquentes est de ferrer trop tôt. L’anguille prend son temps, engame lentement et teste l’appât.
Il faut attendre une traction franche et continue avant de ferrer, sans précipitation. Une fois piquée, le combat est court mais intense, souvent ponctué de tentatives de fuite vers le fond.
La pêche de l’anguille ne peut être dissociée de la question de la préservation. Espèce menacée, son statut impose une grande vigilance.
Avant toute session, il est indispensable de se renseigner sur la réglementation locale. La remise à l’eau, lorsque cela est autorisé, doit se faire rapidement et avec soin.

La pêche à l’anguille est une pêche à part, presque intimiste. Elle récompense ceux qui savent attendre, observer et ressentir.
Elle ne se mesure pas au nombre de poissons, mais à l’expérience vécue, au silence de la nuit et à la sensation unique d’un poisson ancien, puissant et insaisissable au bout de la ligne.
Thomas Laforet est conseiller technique pêche chez Pecheur.com, spécialisé dans la pêche des carnassiers.
Thomas Laforet